Bulletin de la sécurité africaine N° 14

Les moteurs pernicieux du conflit ethnico-religieux au Nigéria

Par Chris Kwaja

28 juin 2011


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Résumé

Le vieux conflit « indigène-colon » au Nigeria, dans la région de Jos, a augmenté ces dernières années et pourrait se propager à d’autres régions ethniquement mixtes du pays—ce qui accroît l’instabilité. Naviguer au travers de telles lignes de fracture entre les communautés est un défi commun pour de nombreuses sociétés africaines; défi qui nécessite l’étude des symptômes antérieurs afin de résoudre les causes systémiques. Au Nigeria, il s’agira de mesures pour atténuer directement la violence ainsi que pour réaliser la réforme constitutionnelle.

Nigeria’s Pernicious Drivers of Ethno-Religious Conflict

(Photo: sohyb09)

Points Saillants

  • Le cadre statutaire du Nigéria accorde aux responsables locaux l’autorité nécessaire pour renforcer ou nier les droits fondamentaux des citoyens dans leurs propres juridictions, ce qui pousse à la politisation de l’ethnicité et à l’escalade de la violence intercommunautaire.
  • Les ripostes inefficaces de l’État aux affrontements ethniques ont souligné le manque de volonté politique d’aborder la question de la violence.
  • Les moteurs systémiques du conflit identitaire, bien qu’actuellement concentrés dans le centre du pays, pourraient s’étendre à d’autres régions du Nigéria ; des réformes institutionnelles fondamentales seront nécessaires pour les traiter.

Dans des situations extrêmes, des collectivités rivales peuvent avoir le sentiment que leur sécurité, voire leur survie, ne peut être assurée que si elles contrôlent le pouvoir national. Le conflit est alors pratiquement inévitable.
—Les causes des conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durables en Afrique, Rapport du Secrétaire général des Nations Unies, 1998.

Les affrontements communautaires qui traversent les fractures ethniques et religieuses dans la ville et la banlieue de Jos, au centre du Nigéria, ont fait des milliers de morts, entraîné le déplacement de centaines de milliers de personnes et encouragé un climat d’instabilité dans l’ensemble de la région.

Si la dernière décennie a connu des épisodes de violence à grande échelle, au cours des dernières années, les attaques ont été plus fréquentes, plus répandues et plus efficaces. En effet, plus de deux cents personnes ont été tuées et presque cent autres ont été portées disparues lors des attaques quasi journalières de janvier 2011. Nombre de victimes ont été tuées ou retenues par des gangs de jeunes musulmans ou chrétiens à des postes de contrôle routiers impromptus et à des stations de bus ou de taxi, et leurs dépouilles retrouvées à proximité, sommairement enterrées.1

L’année 2010 a vu l’avènement de nouvelles stratégies de plus en plus meurtrières au cours de plusieurs attaques à grande échelle. Au mois de janvier, quatre jours de combats ont fait plus de cinq cents morts et déplacé quelque dix-huit mille personnes, qui ont pour la plupart fui dans les pays voisins. Des organisations locales ont recueilli plus de 150 textos ayant circulé avant les violences et qui révélaient un effort concerté pour attiser les tensions. En mars, une seule et même attaque a fait entre trois et cinq cents morts. En août, cinq hommes ont été arrêtés alors qu’ils tentaient de passer en contrebande des lance-roquettes, des grenades, des AK-47 et de grosses sommes d’argent en liquide dans l’État du Plateau, dont Jos est la capitale, où, le jour de Noël, deux voitures piégées ont fait près de quatre-vingts morts et plus de cent blessés. La situation a pris une nouvelle et dangereuse tournure quand l’attentat a été revendiqué par le violent groupe islamiste Boko Haram qui n’était auparavant actif que dans le nord du pays.

Le conflit à Jos est souvent décrit comme étant interreligieux ou interethnique, principalement entre les groupes ethniques anaguta, afizere et berom, à dominance chrétienne, et les groupes hausa et fulani, essentiellement musulmans. Cependant, comme dans la plupart des conflits identitaires en Afrique, ce sont là des stéréotypes sociaux qui sont manipulés pour déclencher et alimenter la violence dans la ville2 et cachent des facteurs institutionnels plus profondément ancrés dans le droit nigérian, dont on abuse et que l’on exploite pour nier aux citoyens l’accès aux ressources, aux droits fondamentaux et à la participation aux processus politiques, autant de facteurs qui, s’ils ne sont pas traités comme il se doit, risquent d’incendier l’ensemble du pays.

Les réponses de l’État au conflit sont largement considérées comme inefficaces. Au moins seize commissions publiques ont été créées pour analyser le conflit et identifier des solutions, et de nombreuses études ont été menées par des groupes indépendants. Cependant, la volonté politique de tirer profit de ces conclusions est faible : les recommandations sont pratiquement ignorées, et les instigateurs et les responsables des attaques ne sont pas souvent poursuivis. Les objectifs des autorités fédérales et des différents États sont régulièrement en contradiction les uns avec les autres, et l’engagement de plus en plus important des groupes de la société civile a eu, dans certains cas, un effet polarisant.

Causes sous-jacentes

Située à la limite nord de la « Middle Belt », au centre du Nigéria, où la moitié nord du pays, principalement musulmane, rencontre le sud généralement chrétien (cf. figure 1), Jos est une ville relativement récente, créée en 1915 comme camp de transport minier en raison de sa proximité avec les gisements d’étain et de colombite. Son climat tempéré, l’excellente qualité de ses sols, ses abondantes ressources hydriques, ses importants pâturages et ses opportunités économiques lui ont permis d’attirer les migrants du pays tout entier et d’atteindre une population de près d’un million d’habitants actuellement. Elle reste un centre commercial et un fournisseur clé du commerce du bétail au niveau national, ainsi que le site de l’Institut national de recherche vétérinaire. Avant sa destruction lors des affrontements communautaires de 2002, le marché central de Jos était l’un des plus grands d’Afrique de l’Ouest en raison de sa proximité avec l’importante jonction ferroviaire qui relie le nord et le sud du pays. Autrefois, la diversité de la ville en termes de population illustrait parfaitement le slogan de l’État du Plateau : « pays de paix et de tourisme ». Les écoles regroupaient souvent plusieurs ethnicités et confessions religieuses et des affaires étaient menées quelle que soit l’appartenance ethnique ou religieuse.3

C’est au début des années 90 que la situation a commencé à changer, à la suite de la modification de la délivrance des certificats d’indigénat. Au Nigéria, en effet, les « indigènes » ou « autochtones » sont les habitants « originaux » d’une zone publique locale, c’est-à-dire les membres des groupes ethniques dont la lignée remonte à cette zone. Tous les autres habitants sont considérés comme des « colons », des migrants. À l’origine, la distinction devait servir à apaiser les minorités qui craignaient de voir leurs coutumes et leurs structures d’autorité traditionnelles amoindries et écrasées par l’expansion des grands groupes ethniques et religieux. Cependant, dans la pratique, cette classification a souvent été utilisée pour déterminer qui « appartient » à un lieu particulier, et donc définir les catégories de citoyens qui peuvent prendre part à la vie politique, être propriétaire terrien, obtenir un emploi ou aller à l’école.4 Par conséquent, le certificat d’indigénat est aujourd’hui un document qui définit le quotidien des vies de nombreux Nigérians.

Cartographie de la diversité nigériane

Ces distinctions sont ancrées dans le droit national: la Constitution nigériane, adoptée en 1999, de même que la Commission à caractère fédéral, organe statutaire mis en place pour assurer le partage équitable des ressources et du pouvoir politique dans le pays, reconnaissent la validité des certificats d’indigénat et l’autorité des responsables locaux de délivrer les certificats aux électeurs qu’ils estiment qualifiés, pratique qui date des années 60. Cette même autorité augmente sensiblement l’importance de la délimitation des circonscriptions et des élections locales, et de la concurrence dans ce domaine. Par ailleurs, les élus sont fortement poussés à utiliser ces certificats pour consolider les majorités ethniques locales. Nombre d’entre eux sont en effet accusés d’alimenter les tensions, de soutenir des acteurs violents et de perpétuer la délivrance sélective des certificats, notamment Jonah Jang, Gouverneur de l’État du Plateau, dont les campagnes politiques ont été, semble-t-il, diffamatoires à l’encontre des Musulmans et de certains groupes ethniques chrétiens.5 Ceci s’est traduit par une fragmentation sociale, de fortes inégalités entre les groupes et une animosité entre les communautés.

La définition de l’indigénat est extrêmement arbitraire. Par exemple, un Hausa, un Igbo ou un Yoruba (représentant des groupes qui ne sont généralement pas originaires de Jos) pourrait être légalement déclaré colon et se voir refuser un certificat, malgré le fait que sa famille vit à Jos depuis plusieurs générations ; mais s’il retournait dans les zones où son groupe ethnique est prédominant, les responsables locaux pourraient également le lui refuser en raison de sa naissance à Jos et des relations qu’il y entretient. Les enfants de parents qui appartiennent à différents groupes ethniques ou de confessions religieuses distinctes se retrouvent également confrontés à ce type de discrimination.

« Les dimensions ethniques et religieuses du conflit ont donc été décrites, à tort, comme étant le principal moteur de la violence, alors qu’en fait, ce sont la marginalisation, l’inégalité et d’autres craintes au niveau pratique qui sont les véritables causes du problème. »

Pendant de nombreuses années, ce problème ne s’est pas posé, car les certificats étaient en général faciles à obtenir pour les résidents de l’État du Plateau et cela posait rarement problème. Mais à la fin des années 80, la baisse des recettes publiques, l’augmentation des pressions économiques et la montée régulière de la migration dans l’une des régions du Nigéria à la croissance la plus rapide ont encouragé certains responsables locaux à revoir leurs politiques en matière de délivrance des certificats d’indigénat, que plusieurs juridictions locales du Plateau, dont Jos, se sont mises à limiter dans les années 90.6

En vertu du droit nigérian, les modifications étaient parfaitement légales, mais l’intention semblait être de nier l’admissibilité à l’indigénat en grande majorité aux Musulmans et aux groupes ethniques du nord du pays, qui se sont alors tournés vers les autorités nationales pour obtenir de l’aide. En 1991, le général Ibrahim Babangida, chef d’État militaire du Nigéria et originaire du nord du pays, a annoncé que Jos serait divisée en trois zones publiques locales, manœuvre décrite par de nombreux observateurs comme un effort à peine voilé de procéder à un découpage électoral de la région en faveur de ses alliés locaux qui contrôleraient alors la délivrance des certificats de contrôle (cf. figure 2). Certains groupes, en particulier chrétiens, craignaient que cette décision ne vise à les maintenir à l’écart des fonctions politiques publiques.

Les relations communautaires se sont détériorées au fur et à mesure que grandissait l’incertitude concernant l’accès aux certificats d’indigénat, mais la violence n’a pas immédiatement éclaté. Le général Sani Abacha, chef d’État militaire qui a pris la relève de Babangida, a dissout toutes les instances démocratiques et, en 1994, a nommé directement des gouverneurs militaires qui ont choisi ensuite les responsables publics locaux. Les nominations d’Abacha ont déclenché des protestations et des contre-manifestations à Jos. Les tensions et les craintes ont finalement atteint un point de rupture, menant aux premiers affrontements communautaires violents et tués. Depuis lors, les élections locales et les nominations politiques sont perçues comme de véritables concours où le gagnant rafle toute la mise.

Les dimensions ethniques et religieuses du conflit ont donc été décrites, à tort, comme étant le principal moteur de la violence, alors qu’en fait, ce sont la marginalisation, l’inégalité et d’autres craintes au niveau pratique qui sont les véritables causes du problème. En tirant profit de ces conditions, de nombreux rivaux politiques ont instrumentalisé la diversité ethnique et religieuse de Jos pour manipuler et rallier leurs troupes. Chaque éruption de violence aggrave les suspicions et rend d’autant plus difficile la réconciliation communautaire, empirant le cycle, incitant encore davantage à la polarisation. En 2010, les dirigeants de l’association chrétienne du Nigéria et du Conseil suprême nigérian des affaires islamiques ont publié une déclaration conjointe dénonçant l’exploitation des tensions communautaires par les élus politiques locaux de Jos à des fins personnelles.7 Une étude commanditée en 2003 par le Bureau du Président en a également conclu que si la pluralité ethnique joue un rôle dans le conflit, « des questions systémiques plus profondes, au centre desquelles se trouve la relation entre le pouvoir politique et l’accès aux opportunités et aux ressources économiques, soustendent ces détonateurs et ces sources d’antagonisme ».8

« Depuis les premiers cas de violence communautaire en 1994, rares ont été les inculpations à l’encontre des auteurs et aucune poursuite crédible n’a été lancée. »

Des tensions similaires en matière d’indigénat ont fait surface dans d’autres régions du pays. En mars 2011, reprenant à leur compte les préoccupations généralisées concernant l’expansion éventuelle de ces différends, vingt citoyens nigérians ont déposé une plainte conjointe pour discrimination basée sur l’indigénat contre l’État fédéral et seize administrations locales et au niveau des États nigérians.9

Les demandeurs avancent qu’ils ont été victimes de violations des droits fondamentaux garantis par la constitution nigériane et la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Chacun d’entre eux est résident de longue date de la juridiction dans laquelle il a déposé plainte, et la lignée de certains remonte à plusieurs générations.

L’indigénat a également déclenché un conflit communautaire mortel dans l’État de Kaduna, dans le nord du pays, et l’État du Delta, riche en pétrole, dans le sud. Comme dans l’État du Plateau, ces conflits ont été décrits comme opposant des groupes ethniques ou religieux, mais ce sont les ramifications matérielles de la perte de l’indigénat qui sont les véritables moteurs de la violence. Cependant, le conflit est plus violent à Jos, sans doute en raison de l’intensité avec laquelle la question de l’indigénat a été utilisée par les rivaux politiques pour rallier leurs troupes dans ces circonscriptions très divisées. En effet, selon les registres électoraux de 2011, les groupes ethniques principalement chrétiens représentaient à peu près 200.000 électeurs, par rapport à 150.000 environ pour les groupes à dominance musulmane sur les 429.179 inscrits dans la zone publique locale nord de Jos, circonscription centrale de l’agglomération.

Affrontements communautaires a grande echelle dans la ville de Jos et sa banlieue

Les défaillances de la gouvernances exacerbent les tensions

Pour prévenir les attaques et protéger la population de Jos, la présence policière, déjà importante au niveau national, a été régulièrement augmentée en déployant l’armée. Toutefois, et ce à plusieurs reprises, les agences de sécurité ne sont pas parvenues, et ce, à plusieurs reprises, à empêcher les menaces qui avaient été identifiées et à y répondre, ainsi qu’aux signes avant-coureurs d’attaques à venir. En général, les pires affrontements communautaires, qui se sont déclarés en 1994, 2001, 2004, 2008 et 2010 (cf. tableau) ont été précédés de plusieurs jours de tensions latentes et de ralliements évidents. Ainsi, avant les combats de 2001, qui ont fait des milliers de morts, « tout le monde, dans les rues de la ville, sentait la tension et la menace de danger flottant dans l’air bien avant les affrontements… Quelque chose de terrible se préparait. »10 10 De même, au cours des incidents de 2010, des attaques séparées ont débuté et se sont terminées à peu près aux mêmes heures le même jour, ce qui semble indiquer qu’elles avaient été prévues.11

La prévention de ces actes violents et la riposte à ceux-ci sont également sapées par la mauvaise coordination entre les autorités publiques et le manque de moyens permettant le partage des informations. Ainsi, en mars 2010, Jonah Jang, gouverneur de l’État du Plateau, a informé par texto le commandant d’une division blindée de l’armée nigériane déployée à Jos d’une attaque imminente dans le village de Dogo Na Hawa. Le gouverneur a indiqué par la suite qu’il avait été obligé de contacter l’officier de cette manière car celui-ci refusait de prendre ses appels téléphoniques. L’attaque qui s’en est ensuivie a fait plus de trois cents morts.

« Le vide de gouvernance s’aggrave donc à Jos. Les communautés, de plus en plus craintives et suspicieuses, se tournent vers les acteurs non étatiques. »

Le manque de liens entre les différents maillons de la chaîne hiérarchique fait partie du problème. La police et les forces armées sont centralisées au niveau fédéral et toutes les demandes en matière de sécurité doivent passer par la capitale nationale, ce qui pose des défis importants en matière de réponse rapide et de gestion de la sécurité interne aux niveaux local et des États. Après les attaques, les dénonciations et les accusations mutuelles au sein du secteur de la sécurité et des autorités publiques sont fréquentes. Le problème est encore accentué lorsque certains des auteurs des actes de violence ethnique sont vus en uniforme militaire ou policier.

L’on doit également constater l’absence de justice et de responsabilité. Depuis les premiers cas de violence communautaire en 1994, rares ont été les inculpations à l’encontre des auteurs et aucune poursuite crédible n’a été lancée. Les politiques et les individus bien placés qui prennent part à l’excitation des tensions utilisent aussi leur influence pour protéger efficacement les responsables des affrontements. Pour chaque acte violent débouchant sur de rares arrestations ou ne menant à aucune poursuite, la confiance des citoyens dans les forces de l’ordre, les institutions judiciaires et l’État diminue globalement.

« Le concept d’indigénat en soi divise les Nigérians et sape l’État démocratique que le pays aspire à maintenir. »

Si la réponse sur le terrain reste médiocre, les bureaux publics au niveau national et des États ont mené de nombreuses études sur la violence à Jos, sans grand résultat. Cinq commissions d’enquête séparées ont été créées à la suite d’un incident violent en 2008, mais leurs recommandations politiques ont rarement été mises en place, le cas échéant, et certains de leurs rapports n’ont même jamais été rendus publics. Témoignant de l’impatience grandissante et du désenchantement de nombreux Nigérians, un éditorial a décrit ces commissions comme un « rituel de création d’enquêtes et de rédaction de rapports qui finissent toujours aux archives ».12 De par leur prolifération, elles ont perdu leur crédibilité et ont été politisées. Les plus récentes se sont montrées incapables d’obtenir le témoignage de sources clés et d’attirer en leur sein des individus influents ; certaines ont même été ouvertement partiales.

Le vide de gouvernance s’aggrave donc à Jos. Les communautés, de plus en plus craintives et suspicieuses, se tournent vers les acteurs non étatiques, dont elles dépendent presque entièrement en matière de protection, d’assistance humanitaire et de réinsertion des personnes déplacées en raison des conflits, ce qui ne fait qu’amplifier encore la polarisation due aux différends nés de l’indigénat.

Certaines organisations communautaires semblent d’ailleurs résolues à accélérer cette polarisation. Plusieurs organisations religieuses, chrétiennes comme musulmanes, et de nombreux groupes de jeunes, tels que les mouvements de la jeunesse berom, anaguta et afizere et l’association jasawa pour le développement, ont joué des rôles clés dans l’expansion de la violence et d’idéologies prônant l’exclusion. En l’absence d’autorités publiques crédibles et répondant de leurs actes, leur influence et leur attrait ne peuvent qu’augmenter au sein de la population de Jos.

Atténuer let conflits à venir dans l’État du Plateau

Des facteurs institutionnels bien établis se trouvent au cœur de l’expansion de la méfiance et de la violence dans l’État du Plateau, qui pourrait, si elle n’est pas maîtrisée, atteindre les trente-six États du pays. Des changements fondamentaux seront nécessaires pour inverser les incitations à la violence.

Éliminer les classifications d’indigène ou d’autochtone et de colon dans le cadre des prises de décisions publiques.

Il faut éliminer la base juridique de l’indigénat telle qu’inscrite dans la Constitution nigériane et la Commission à caractère fédéral. À l’origine, la notion d’indigénat devait servir à protéger les coutumes, les cultures et les structures de gouvernance traditionnelles, mais elle a été pervertie et politisée et représente aujourd’hui pour les politiques opportunistes une incitation institutionnalisée au développement du pouvoir sur la base de l’exclusion. À Jos, cela a mené à des milliers de morts et à de graves hostilités entre les communautés. Le concept d’indigénat en soi divise les Nigérians et sape l’État démocratique que le pays aspire à maintenir. Il diminue en fait la valeur-même de ce que signifie être Nigérian.

Il sera difficile de déraciner ce concept du droit nigérian ; pour ce faire, il faudra sans doute amender la Constitution et d’autres codes juridiques. Si ces catégories ont jamais eu une valeur quelconque, dans une société de plus en plus mobile, moderne et urbaine, elles sont désormais dépassées. De même, il faut abandonner les demi-mesures de plus en plus prisées. Mieux définir les « indigènes » ou les « certificats de résidence » supplémentaires pour les soi-disant colons n’éliminera pas la notion de citoyenneté à deux niveaux perpétuée par la dichotomie indigène/colon. L’indigénéité doit prendre fin, sous peine de voir sans doute le conflit empirer à Jos et naître dans d’autres villes et États du pays.

Renforcer et coordonner les institutions de sécurité et y désamorcer les conflits.

Le renforcement de la capacité des forces de sécurité à détecter de manière proactive les signes avant-coureurs de tensions intercommunautaires et à y répondre peut permettre de mieux contenir les éruptions de violence, et nécessitera des services de renseignements cohésifs fournissant aux unités des forces de l’ordre aux niveau local et des États des informations en temps quasi réel. En parallèle, les forces fédérales doivent rester engagées au niveau local pour protéger les minorités. Cependant, une hiérarchie claire et des moyens de coordination entre les niveaux local, fédéral et des Etats doivent être mis en pratique. De même, des moyens sont nécessaires pour enquêter dans les cas de prétendue participation dans le domaine de la sécurité à la violence ethnique pour assurer que les responsables répondent de leurs actes.

L’inspiration de réformes innovantes de l’État du Plateau pourrait provenir des progrès accomplis dans l’État de Lagos, qui a créé un fond d’affectation spéciale pour la sécurité publique faisant office de point de coordination entre les responsables commerciaux et publics en leur permettant d’identifier les menaces à la sécurité, de coordonner les réponses avec les autorités policières et de mobiliser des fonds et des ressources pour soutenir les services de police locaux. Des hélicoptères, des véhicules et du matériel sophistiqué ont ainsi été achetés pour améliorer l’efficacité de la police et favoriser une réponse rapide ainsi que le partage des informations. D’autres initiatives de police dans l’État ont permis l’intégration de groupes de jeunes dans le cadre des efforts communautaires de suivi et de maintien de l’ordre.

Faire de la protection des droits des minorités une priorité.

Pour réconcilier les groupes identitaires ethnicoreligieux polarisés et renforcer le soutien aux initiatives de consolidation de la paix, toutes les parties doivent croire en la garantie des droits fondamentaux et en l’existence d’un moyen institutionnalisé d’enquêter sur les violations présumées. Pour ce faire, l’engagement d’un acteur de confiance externe et indépendant sera nécessaire.

La Commission nationale des droits de l’Homme pourrait jouer un tel rôle. En mars 2011, le Président Goodluck Jonathan a signé des amendements de la législation visant à habiliter cette commission auparavant paralysée. Il s’agit maintenant d’augmenter sa capacité, son budget et son autorité pour lui permettre de remplir un mandat plus large. La Commission devrait marcher sur les pas des succès de la Commission ghanéenne pour les droits de l’Homme et la justice administrative, qui a largement contribué à l’effort de réconciliation sociale et est entièrement indépendante des services de sécurité avec lesquels elle collabore pourtant. Cette situation permet une coopération accrue des citoyens, plus enclins à faire état d’abus et de violations à la commission puisqu’elle bénéficie de leur confiance. En outre, la Commission des droits de l’Homme du Nigéria doit disposer de l’autorité nécessaire pour lancer et mener des enquêtes, délivrer des assignations à comparaître, avoir accès aux dirigeants nationaux et des États, intenter des poursuites et jouir d’autres prérogatives lui permettant de surmonter l’obstruction politique.

Un mandat d’une telle ampleur nécessitera des dirigeants d’une intégrité indéniable, insensibles aux pressions politiques. Pour cela, les nominations devront faire l’objet d’un examen par des pairs issus d’organisations de la société civile, telles que le barreau nigérian. En effet, étant donné que certains politiques et individus jouissant de relations politiques feront vraisemblablement l’objet d’enquêtes, la Commission devra rester consciemment à l’écart de la politique.

Commissions de consolidation de la paix basées sur la communauté, mais soutenues par les États.

Pour faciliter le dialogue et mettre en œuvre des stratégies d’atténuation des conflits, les autorités publiques de l’État du Plateau, de concert avec les instances fédérales, doivent créer des commissions de consolidation de la paix interethniques et interreligieuses basées sur la communauté.

Ces commissions devraient se former sur le modèle de l’État de Kaduna, où les autorités publiques incluent la population de manière proactive dans différents forums de dialogue, tels que la Commission sur l’harmonie interreligieuse, présidée par le gouverneur, dont l’objectif est d’identifier les foyers de tension potentiels et de mettre au point des mesures afin de les éviter ou de les résoudre. Elle s’efforce également d’assurer le rapatriement, la réinsertion et le dédommagement des personnes déplacées et suit les flux d’armes légères.

Une telle commission dans l’État du Plateau pourrait poser les bases d’une stabilité durable en soulignant la réconciliation et en favorisant un climat d’inclusivité politique. Elle pourrait obtenir des résultats immédiats en fournissant un moyen d’engagement entre la communauté et les autorités publiques et en facilitant des interventions plus opportunes qui peuvent empêcher des incidents localisés de se transformer en affrontements communautaires importants. À long terme, une telle initiative peut aider à inculquer un sens partagé d’identité nigériane.

Conclusion

Sous bien des aspects, la montée en flèche de l’insécurité à Jos n’a rien à voir avec un conflit communautaire local. Ses causes profondes et ses impacts regroupent nombre des plus grands défis politiques du Nigéria. Des codes juridiques discriminatoires et qui manquent de clarté alimentent le conflit, pervertissent la dynamique politique et sapent les progrès démocratiques. Les carences de la gouvernance créent des vides au sein desquels la population est forcée de se tourner vers des solutions d’entraide, telles que les associations ethniques ou les groupes d’auto-défense. Une économie moderne propice à l’entreprenariat local et attrayant aux yeux des investisseurs étrangers reste impossible tant que la libre circulation des personnes, des marchandises et des idées est restreinte par l’indigénat et l’instabilité qui en résulte. Pour résoudre le conflit à Jos, il s’agira de dépasser les symptômes des divisions ethniques et religieuses que connaît le pays et de se concentrer sur les inégalités institutionnalisées qui criblent non seulement la stabilité dans l’État du Plateau, mais aussi les progrès dans l’ensemble du Nigéria.

Chris Kwaja est maître de conférences et chercheur au Centre de la gestion des conflits de l’université de Jos, au Nigéria.

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Notes

  1. Shuaibu Mohammed, “Buildings Burn, Death Toll Mounts in Central Nigeria,” Reuters, 30 janvier 2011.
  2. Clement Mweyang Aapengnuo, « La mauvaise interprétation des conflits ethniques en Afrique », Centre d’études stratégiques de l’Afrique, Bulletin de la sécurité africaine N° 4, avril 2010.
  3. Abubakar Sokoto Mohammed, “The Impact of Conflict on the Economy: The Case of Plateau State of Nigeria,” Overseas Development Institute, 2004.
  4. “‘They Do Not Own This Place’: Government Discrimination Against ‘Non-Indigenes’ in Nigeria,” Human Rights Watch, avril 2006.
  5. Philip Ostien, “Jonah Jang and the Jasawa: Ethno-Religious Conflict in Jos, Nigeria,” Muslim Christian Relations in Africa, août 2009, 19.
  6. Human Rights Watch; voir aussi Jane Krause, “Explaining Nigeria’s Christmas Killings,” OpenDemocracy.net, 3 janvier 2011; “Plateau: Home of Pieces and Terrorism,” Sahara Reporters, 15 juillet 2010.
  7. “Jos Bombing: Politicians ‘Fuel Nigeria Unrest,’” BBC, 28 décembre 2010.
  8. Strategic Conflict Assessment: Consolidated and Zonal Reports (Abuja, Nigeria: Institute for Peace and Conflict Resolution, mars 2003), 160.
  9. “Nigeria: Constitutional challenge to indigene-settler divide heard March 14, 2011,” Institute for Human Rights and Development in Africa, 14 mars 2011.
  10. Umar Habila Dadem Danfulani and Sati U. Fwatshak, “Briefing: The September 2001 Events in Jos, Nigeria,” African Affairs 101, no. 403 (avril 2002), 248.
  11. Adam Kigazi, The Jos Crisis: A Recurrent Nigerian Tragedy, Discussion Paper No. 2 (Abuja, Nigeria: Friedrich Ebert Stiftung Nigeria, janvier 2011), 27.
  12. “The Presidential Panel Report on Jos Crises,” Daily Trust, 2 septembre 2010.

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